L'évidence de la vie ?
20 août 2004
Grâce à l'action conjuguée des deux robots occupés à parcourir les vastes plaines martiennes, nous avons aujourd'hui acquis la certitude qu'une bonne partie en a été jadis recouverte d'un océan d'eau salée sous une atmosphère riche en CO2, conditions favorables à l'apparition de la vie. Reste à savoir si les processus biologiques ont pu s'enclencher et évoluer, sinon jusqu'à notre époque, mais au moins avec la possibilité de laisser des traces fossiles encore observables.
Déjà, nous avions évoqué cette possibilité lors de la mise en évidence par Opportunity d'une forme surprenante à la surface du rocher El Capitan (cf…), malheureusement détruite par la suite. Mais celle-ci demeurait un cas isolé, même si d'autres images prises ultérieurement semblaient présenter, quoique de façon moins nette, des formations similaires.
Mais l'attention se tourne aujourd'hui vers Spirit, le premier des deux explorateurs robotisés arrivés sur la Planète rouge en janvier dernier. Celui-ci se trouve à l'intérieur du cratère Gusev, dont il a parcouru le fond sur une distance de plus de 2 kilomètres avant de parvenir aux pentes des Columbia Hills. Le robot ne s'est pas attardé en chemin, car les techniciens ont estimé que cet objectif était prioritaire alors qu'il atteignait sa limite d'âge théorique.
Ce relatif empressement n'a pas empêché Spirit de prendre quantité d'images en haute résolution, et il apparaît maintenant que plusieurs d'entre elles présentent certains détails surprenants.
A droite, la structure formée de cercles concentriques évoque un stromatolite. A gauche, un amoncellement de roches lamelliformes de même orientation pourrait s'avérer un second stromatolite plus endommagé.
Lors de Sol 105, Spirit transmettait une vue du sol caillouteux de Mars, montrant une étrange structure formée de cercles concentriques. On y distingue nettement un arrangement de roches lamelliformes partiellement enfouies dans le sol, orientées selon un schéma concentrique très net et sans équivoque. Une telle disposition évoque irrésistiblement un stromatolite ancien, dont la partie supérieure a été soumise à l'érosion durant une très longue période, laissant apparaître sa structure interne.
Une autre structure de même nature, bien que moins nette, apparaît à gauche de l'image, et semble incomplète, peut-être endommagée suite à une exposition moins favorable aux éléments.
Nous présentons cette image, que nous avons reconstituée en couleurs sur la base des documents pris par la caméra panoramique gauche dans les longueurs d'ondes de 601, 535, 482 et 432 nm (traitement Space News International).
En remontant jusqu'à Sol 91, on aperçoit à un autre emplacement, toujours sur le site du cratère Gusev, une autre forme rocheuse circulaire en saillie, également suspectée d'être un stromatolite fossile.
Seule la paroi externe semble émerger, le centre étant encombré de débris divers.
Qu'est-ce qu'un stromatolite ?Il y a 3,5 milliards d'années, les tout premiers organismes monocellulaires proliférant dans les océans terrestres se sont déposés parmi les sédiments, formant des tapis bactériens qui nous sont parvenus sous leur forme fossilisée, les stromatolites. Il s'agit là de la première manifestation de la vie dont la trace nous soit parvenue. Longtemps, les scientifiques se sont interrogés au sujet de leur origine, hésitant entre les restes fossilisés d'un seul organisme ou animal aujourd'hui disparu, et une structure sédimentaire inexpliquée. Ce n'est que la découverte de stromatolites vivants à la fin des années 1950 en Australie qui a définitivement résolu l'énigme.
"Champ" de stromatolites vivants en bordure d'océan en Australie.
Si on observe de près un stromatolite australien en cours de formation, on aperçoit un tapis de consistance gélatineuse, laminaire, composée de filaments bactériens dont plusieurs sont des cyanobactéries, une des plus anciennes formes de vie connues.
Dans l'épaisseur de ce tapis se produisent plusieurs phénomènes intéressants. Les particules sédimentaires sont d'abord piégées entre les filaments bactériens. Puis ces bactéries, par activité photosynthétique, consomment du CO2 ce qui abaisse la pression au sein de ce microcosme, ce qui a pour effet de provoquer la précipitation du CaCO3 (carbonate de calcium), avec pour conséquence de cimenter ensemble les particules sédimentaires piégées, aboutissant à la formation d'une roche constituée d'une succession de croûtes solides, appelée laminite cyanobactérienne.
Stromatolites terrestres fossiles (Nord du Canada).
Certains stromatolites prennent par effet mécanique (enfoncement dans le substrat et effondrement des couches supérieures) l'aspect de structures columnaires en forme de dôme, constituées d'une succession de couches "en pelure d'oignon" dont le diamètre peut varier de quelques centimètres à quelques mètres. En coupe provoquée par l'érosion, ils présentent l'aspect de cernes de troncs d'arbres, montrant une succession de cercles concentriques en relief formés de roches laminaires saillantes. On en trouve dans le monde entier, depuis le grand Nord canadien jusqu'à l'équateur, partout où le sol s'est trouvé recouvert d'une mer peu profonde (afin que la photosynthèse puisse agir) durant suffisamment de temps.
Bien entendu, il serait prématuré d'affirmer avec une absolue certitude l'origine bactérienne des structures observées sur Mars, mais aucune alternative non biologique satisfaisante n'existe actuellement pour expliquer leur formation.
Mars et la Terre, une même vie ?Les détracteurs de l'hypothèse "fossile" opposent généralement à de telles observations qu'une forme de vie, en évoluant puis se diversifiant en des lieux aussi différents que Mars et la Terre, devrait obligatoirement diverger et présenter des aspects très différents. Rien n'est néanmoins moins sûr, et aujourd'hui un courant de pensée amène les biologistes à envisager que, soumises à des conditions sensiblement similaires à l'origine (atmosphère de CO2, océan d'eau salée…), des formes biologiques devraient tendre vers des méthodes d'adaptation au milieu sensiblement identiques du fait de la sélection naturelle.
Mais il existe cependant un moment précis où toutes les formes de vie organiques devraient présenter un aspect identique. C'est à leur stade primitif, lors de leur apparition sous la forme de cellules procaryotes (c'est-à-dire avant la formation d'un noyau) et indifférenciées. Et c'est exactement ce que sont les stromatolites.
Malheureusement, la petite taille des organismes qui les composent individuellement les situent bien en deçà du pouvoir de détection des caméras microscopiques de Spirit et Opportunity, qui s'avèrent inaptes à en apercevoir les traces fossilisées. Il faudra probablement se résoudre à attendre les premiers retours d'échantillons martiens, au cours de la prochaine décennie, pour déterminer si des fossiles bactériens sont bien présents dans le sol de la Planète rouge et s'ils sont bien à l'origine de ces étranges structures.
En attendant chacun pourra se forger sa propre opinion au vu des images transmises depuis notre voisine planétaire.