La science a-t-elle peur de jouer son rôle?
GILLES TOUSSAINT
Les «crop circles» n'ont sans doute rien de bien mystérieux.
Mais les scientifiques semblent avoir du mal à aborder les questions extraterrestres.
ENTRETIEN
Pierre Lagrange est sociologue et chercheur au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture du CNRS. Il est spécialisé dans l'étude des controverses sur les ovnis et la vie extraterrestre.
D'où vient la tendance du grand public à associer des phénomènes tels que les «crop circles» à une intervention extraterrestre?
C'est lié à la dimension de ces phénomènes. Il y a un effet de surprise et d'étrangeté et il se passe quelque chose de curieux qui veut que parce qu'un phénomène est grand, on imagine que les causes qui en sont à l'origine sont grandes elles aussi. Même si en fait cela peut-être le résultat de quelque chose de très simple. Ce qui est étonnant, c'est que l'on ne s'interroge par contre pas sur le fait que de très grands jardins sont réalisés par de petits jardiniers.
Et puis au fil du temps, j'ai l'impression qu'il y a eu une sorte de surenchère entre les gens qui réalisaient ces figures et qui ne se connaissaient pas forcément. Les motifs se sont complexifiés. Au début, quand c'était des formes très simples, on se disait déjà que c'était impossible à réaliser. Alors ensuite quand des formes très compliquées sont apparues, les causes devaient forcément être encore plus complexes. Même des ingénieurs qui disaient ne pas être naïfs et ne pas croire à la thèse extraterrestre avançaient que cela avait dû être réalisé par des satellites espions. C'est n'importe quoi.
Pour moi, c'est du «Land Art», une forme d'art dans la nature qui est d'ailleurs revendiquée comme telle par certains. Il y a d'ailleurs des équipes qui étaient clandestines au départ et qui se sont profession-nalisées pour en faire une activité commerciale.
L'observation d'ovnis fait aussi régulièrement débat...
Il y a effectivement des phénomènes que l'on voit dans le ciel et qui sont régulièrement rapportés, mais cela peut être un tas de choses. Il est vrai que certains restent inexpliqués. Mais à partir d'observations faites par des témoins qui ne sont pas dans un cadre scientifique adapté, il est très difficile dans certains cas d'expliquer ce qu'ils ont vu. Ils n'ont pas de repères pour fixer une altitude, une vitesse... On croit toujours que la fiabilité d'une observation est liée à la rationalité de la personne. Ce n'est pas le cas, c'est lié à des instruments très précis qui ont été construits par la culture scientifique. La science est une culture technique.
Mais curieusement, si on a su créer des réseaux scientifiques pour l'étude de tout un tas de phénomènes comme les météorites, on ne sait pas le faire pour les ovnis. Dès qu'il s'agit d'ovnis, les scientifiques se prennent, en gros, pour des philosophes.
Pour quelles raisons?
Dès que l'on parle d'ovnis, on parle d'irrationnel comme si la société était en danger. En fait, on oublie que la question de la présence extraterrestre est une question qui découle de notre histoire scientifique depuis quatre siècles. C'est même fondateur. Quand Copernic fait de la Terre une planète et la sort du centre de l'univers, il engendre automatiquement la question des extraterrestres. On n'a jamais mesuré les implications de cela.
Au moment où les soucoupes volantes ont fait leur apparition, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a une espèce de culture scientifique qui s'est construite. A cette époque, avec la bombe atomique, le physicien est un peu devenu le roi de la science. Et à ce moment-là, la culture populaire affirme que des choses bizarres se passent dans le ciel. On s'est donc tourné vers ces scientifiques pour leur demander des explications et ceux-ci se sont sentis investis d'une mission pas seulement scientifique mais aussi sociale qui est un peu de dire la vérité comme les oracles de la Grèce ancienne. Ils ne vont alors plus faire de la science, mais plutôt de la philosophie ou de la psychologie et se mettre à commenter des faits de société. Cela va créer toute une série de malentendus qui durent toujours aujourd'hui et qui font que l'histoire des soucoupes volantes, alors que je pense qu'elle aurait pu être réglée assez facilement, est devenue une espèce de malaise collectif.
A mon avis, on a plus de choses à retirer en étudiant sérieusement le problème qu'à le rejeter en parlant d'hallucinations et d'irrationalité populaires. Il est plus enrichissant de partir de l'hypothèse positive en se disant que «c'est peut-être ça». Même si on ne trouve pas les extraterrestres, on trouvera autre chose.
Source de l`article : © La Libre Belgique 2006, http://www.lalibre.be
http://www.lalibre.be/article_print.phtml?art_id=301073
Martin McCain, a-d.
CRUCRAS./
_________________
Yves Lalumière, Directeur
CRUCRAS/